Interviews de spécialistes
Organisées par Thématique
Développement des compétences psychosociales
et du bien-être à l’école – Quelles méthodes ?
Interview écrite de Thomas Villemonteix (Maître de conférence en psychologie clinique)
– La régulation émotionnelle, c’est quoi ?
” […] l’ensemble des processus par lesquels une personne évalue, inhibe et modifie les épisodes émotionnels qu’elle vit, que l’on parle de l’intensité, de la fréquence ou de la durée de ces derniers.”
” […] il faut pouvoir accepter la zone de frustration dans laquelle nous placent l’erreur et/ou l’échec, et réguler ces émotions négatives pour pouvoir poursuivre son apprentissage.“
“[…] on sait que les compétences socio-émotionnelles de l’élève jouent un rôle dans son parcours scolaire, dans sa réussite scolaire et même ultérieurement professionnelles. Dans ce contexte, il me semble que la promotion des compétences socio-émotionnelles (CSE) doit être identifiée comme une des missions cardinales de l’école.
Interview écrite d’Aurelie Pasquier (Enseignante-chercheuse en psychologie clinique)
– Développer les compétences psychosociales à l’école, ça sert à quoi ?
“[…] c’est à partir de la recherche menée avec ma collègue Nathalie Rezzi, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, que nous avons mis en place un module de formation qui s’appelle “Enseigner l’oral dans toutes les situations d’enseignement” et notamment à partir d’un rituel autour des émotions. Tous ces projets collaboratifs, pour moi, n’ont de sens que s’ils inondent ensuite la formation, que ce soit la formation initiale ou continue.”
“Il n’existe pas une seule méthode ou un seul outil pour le bien-être et je pense que ce dernier passe d’abord par l’accueil sans jugement et l’intégration des émotions positives comme négatives au quotidien.”
“Puisque nous avons chacun notre ligne de fonctionnement, ne serait-il pas préférable d’envisager un “mieux-être” par rapport à un mal-être, plus qu’un bien-être projeté de manière complètement aléatoire et injonctive vers lequel nous devrions tous tendre ?“
Interview écrite de Rebecca SHANKLAND (Pr. des Université)
– Comment développer des compétences psychosociales ? Par quels outils ?
“[…] en lisant les recherches sur la prévention je me suis rendu compte que non seulement ce n’était pas très efficace de faire de la prévention des problématiques de santé mentale de cette manière-là, mais que l’on pouvait même avoir des effets contre-productif“
“Les psychosociales sont des compétences qui nous aident à faire face aux situations que l’on rencontre au quotidien, à surmonter les obstacles, à avancer en direction de nos objectifs et nos buts de vie, de manière constructive c’est-à-dire en tenant compte des besoins des autres et en collaborant avec eux.“
“Il est possible de renforcer ces compétences tout au long de la vie, même si on encourage le développement dès le plus jeune âge“
Interview écrite de Pascale HAAG (Maître de Conférences)
– Quelle place du bien-être à l’école, et comment le stimuler ?
“[…] il s’agit de réfléchir sur les moyens de construire à l’école un environnement optimal d’apprentissage pour le plus grand nombre d’élèves. Ainsi, il ne s’agit pas de considérer le bien-être comme une fin en soi mais plutôt de voir comment, en travaillant sur les différentes dimensions qui le favorisent à l’école, on pourrait permettre aux élèves d’apprendre dans de meilleures conditions“
“L’Ecole aurait donc un rôle à jouer sur la réduction des inégalités, par un enseignement aussi explicite que possible de tout ce qui a trait à la régulation émotionnelle, à la qualité interpersonnelle“
“On peut dire tout de suite que le bien-être est positivement corrélé à une meilleure réussite scolaire“
Stress et apprentissages
Interview écrite de Valérie Dormal (Chargée de recherche)
– Comment apprendre à gérer son stress à l’école et à la maison ?
“[…] le stress que l’on observe aujourd’hui ne touche pas que les adultes mais qu’il touche malheureusement de plus en plus les enfants qui en sont affectés au quotidien, et ce dans toutes les sphères “
“Ce que l’on peut observer dans les différents échanges, c’est que les professeurs s’ouvrent de plus en plus à cette notion de bien-être et de gestion des émotions : il existe de plus en plus de petits ateliers de relaxation, de discussions autour de la problématique du stress et de la gestion des émotions “
” Pour l’outils FOCUS […] nous nous sommes appuyés vraiment sur deux principes psycho-physiologiques fondamentaux : […] Le premier est la respiration guidée […] le bio feedback “
Les écrans et les jeux vidéo – quels dangers ?
Interview écrite de Nicolas Poirel (Professeur des Universités)
– Quels sont les effets des écrans sur le développement de l’enfant ?
“Les effets dépendent surtout de ce que l’on fait avec les écrans. S’il s’agit d’une activité saine, ludique et contrôlée, s’il s’agit de discussions, d’échanges avec des amis, ce n’est pas la même chose que regarder passivement la télévision“…
…”des études ont montré que l’on perdait du temps de sommeil à cause de la lumière bleue (les LED qui constituent les écrans). “…
“Les personnes qui diabolisent les écrans sont souvent des personnes qui ne travaillent pas directement avec des enfants, qui ne publient pas d’articles scientifiques sur le développement de l’enfant”
Interview écrite de Bruno ROCHER (Docteur & psychiatre)
– Les jeux vidéo et l’addiction des jeunes – comment la détecter ?
“… Il est hors de question d’aller parler d’addiction chez tous ces gens qui sont des utilisateurs férus d’écran. Si l’objet « écran » est extrêmement développé, il faut discerner ce qui, dans la notion d’écran, peut devenir problématique.“
“c’est par le biais de ce type de jeu qu’il existe un intérêt dans une socialisation différente à la vie réelle, qui vient comme un substitut de celle-ci, créant une sorte de vie parallèle empêchant alors d’aboutir une vie réelle. L’avènement du métavers viendra interroger et démultiplier ces questions.” …
…”depuis 2020 et l’entrée dans le confinement, on a constaté une diminution très nette du nombre de sollicitations, entre 0 et 1 nouvelle demande par mois seulement“…
“pour les parents ou l’ensemble des adultes, de considérer cette culture numérique des adolescents comme une adjonction aux modalités d’échanges traditionnelles“…
Le rythme scolaire et les dettes de sommeil. Quels effets ?
Interview écrite d’ Arnaud RABAT (chercheur)
– Conséquences des règles sociétales sur le sommeils à l’adolescence
“… le sommeil fait partie des grandes fonctions physiologiques préservées par l’organisme au même titre que la faim et la soif ; on ne peut pas lutter contre” …
…”la majorité de la population (environ 80%) sont des moyens dormeurs dont les besoins se situent entre 6h30 et 8h30 de sommeil ; les 20% restant sont alors des petits dormeurs (moins de 6h30) ou des grands dormeurs (plus de 8h30)”…
“Les adolescents se trouvent un peu comme en décalage horaire permanent et doivent constamment se resynchroniser avec les rythmes sociétaux (notamment scolaire)” …
“Comme une dette financière ou d’oxygène, c’est une situation qui existe à partir du moment où la quantité de sommeil que vous vous octroyez est inférieure à celle que nécessitent vos besoins physiologiques”…
Les ados et les émotions … Pourquoi c’est si particulier ?
Interview écrite de Mathieu CASSOTTI (Professeur des Universités)
– “Pourquoi nos adolescents prennent-ils des risques ?
“Quoi qu’il arrive et quelle que soit votre culture, un changement va s’opérer, un décalage de maturation entre les réseaux cérébraux impliqués dans les émotions et les réseaux cérébraux impliqués dans le contrôle cognitif. Et ce décalage-là va se retrouver quelles que soient les cultures.”
“On a des chiffres qui montrent qu’on augmente de 400% la mortalité entre l’enfance et l’adolescence, et que cette mortalité n’est pas liée à des maladies ou des facteurs purement biologiques ; elle est liée vraiment à la façon dont l’adolescent va interagir avec son environnement.”
” Prendre du cannabis à l’adolescence n’a pas les mêmes effets sur le cerveau qu’à l’âge adulte.”
“Les adolescents vont prendre des risques uniquement lorsqu’ils sont dans un contexte socio-émotionnel suffisamment fort ; sans ce contexte social particulier, ils vont décider de la même manière que les adultes.“
Interview écrite de Geraldine DORARD (Maître de Conférences)
– L’hyper sensibilité des adolescents & empathie
“L’hypersensibilité [des adolescents] peut être défavorable certes, mais seulement quand il y a des circonstances environnementales qui sont défavorables et qui peuvent être des facteurs précipitants ou de vulnérabilité. Maintenant, il ne faut pas oublier qu’il y a une grande majorité d’adolescents pour lesquels tout se passe bien !”
“Ce qui m’intéresse dans l’empathie c’est aussi qu’elle est une dimension du fonctionnement psychologique qui est interpersonnelle puisque l’empathie ne se manifeste que dans le lien à l’autre. Or, l’une des caractéristiques développementales que l’on retrouve dans tous les modèles de développement de l’adolescence, c’est bien la modification du lien social qui évolue vers une « restriction » des interactions avec la famille au profit de l’interaction avec les pairs.”
“Le support social de la part des enseignants et des professionnels de l’éducation permet de faciliter la gestion des éléments stressants de l’environnement (conflits des rencontres, pression académique).”
Que disent les études scientifiques à propos du développement de la créativité, et de son importance à l’école ?
Interview écrite d’Anaëlle CAMARDA (Chargée de recherche)
– “Think outside the box” & importance de la créativité à l’école
“Pour être créatif, il faut dépasser certains blocages, certaines limites auxquelles nous nous confrontons et qui sont certainement issues des apprentissages que nous avons fait tout au long de notre vie.”
“L’idée que les enfants sont plus créatifs que les adultes est fausse. La littérature scientifique démontre bien que les compétences de créativité se développent de la petite enfance jusqu’à l’âge adulte, même si elles sembleraient connaitre un développement qui ne soit pas tout à fait linéaire.”
“[…] l’école devrait s’intéresser à la créativité car ce n’est pas une matière “à part”, ce n’est pas un outsider. Les mécanismes cognitifs sous-jacents du raisonnement génératif sont aussi fortement partagés avec le raisonnement mathématique, scientifique, etc. Stimuler l’un pourrait alors stimuler l’autre, si tant est que nous travaillions ces mécanismes en dehors des cloisonnements disciplinaires, pour qu’ils puissent évoluer de manière globale et que les apprentissages puissent se transférer d’un exercice à un autre.”
Interview écrite de Julie DEVIF (Chargée de recherche)
– A quoi servent les stéréotypes ?
“Pour les contre-stéréotypes, c’est le fait qu’une personne transgresse les normes de son groupe en adoptant un trait de personnalité ou un comportement qui est généralement attribué à un autre groupe.”
“Par exemple, pour reprendre les mathématiques : généralement, si on pense aux maths, on va penser directement à un homme. Le fait de présenter des contre-stéréotypes peut modifier, au moins temporairement, cette représentation-là, c’est-à dire qu’on n’aura plus aussi vite tendance à associer mathématiques et hommes, mais qu’on pourra associer mathématiques et femmes.”
“Ainsi, il est tout à fait possible d’intégrer de façon simple et quotidienne à l’école les contre-stéréotypes sans forcément devoir ajouter cela aux programmes déjà bien chargés pour les enseignants. […] Cette mobilisation de contre-stéréotypes au quotidien, selon les occasions qui se présentent, permet aussi de normaliser leur existence sans forcément en faire toute une séquence pédagogique.”
Interview écrite de Delphine MARTINOT (Professeure des Universités)
– La meilleur réussite des filles : un effet trompe l’oeil ?
“J’ai toujours été sensible aux questions des inégalités hommes/femmes, et surtout pour l’avoir vécu en début de carrière professionnellement. Je voyais bien qu’en tant que jeune maîtresse de conférences, ce que je disais n’avait pas de poids dans les réunions par rapport à mes collègues hommes, et que la même idée reprise un peu plus tard dans la réunion par mes collègues masculins devenait une idée intéressante.“.
“Les individus ne se rendent pas compte qu’il s’agit d’un comportement sexiste, notamment tout ce qui relève du sexisme bienveillant : prendre plus de précautions auprès des femmes parce qu’elles seraient plus fragiles, c’est ce que beaucoup d’individus (surtout ceux qui ne sont pas au fait des phénomènes de stéréotypes) pensent qu’il est convenable de faire et ne voient pas le problème.“.
“ A réussite égale donc, la façon dont on en rend compte fait que la réussite des filles n’est pas plus valorisée que cela parce que les raisons supposées de cette réussite ne le sont pas dans la société adulte : on ne demande pas des gens obéissants pour occuper des postes à responsabilités, par exemple. “
Interview écrite de Christine MORIN-MESSABEL (Professeure des Universités)
– Filles & Garçons : Quels sont les effets des stéréotypes sur le développement ?
“À partir du début de la catégorisation, on va distinguer tout de suite deux groupes : « nous », les personnes qui appartiennent à notre propre groupe, et « eux », celles qui appartiennent à un autre groupe”. […] “Ces éléments de ressemblance et de différenciation vont reposer sur des caractéristiques qui sont censées définir les groupes“.
“[…] En effet, si les stéréotypes liés à la catégorisation de sexe sont si puissants, c’est parce que c’est cette catégorisation qui organise le monde social ; il s’agit donc de biais socio-cognitifs forts parce que si l’identification de sexe est aussi déterminante dans les interactions, c’est qu’elle est socialement déterminée par une dichotomie homme/femme très présente dans notre univers social.“
“Même sans s’appliquer à soi-même les stéréotypes, on peut s’en retrouver « victime » malgré soi. Les stéréotypes gardent un impact fort : la menace du stéréotype reste présente même lorsque l’on n’y adhère pas.”
Interview écrite de Thomas BREDA (chercheur CNRS)
– Différences entre les filles & les garçons à l’école
“Les filles sont significativement moins fortes en maths et plus fortes en français ; de plus l’écart en français en faveur des filles est plus important que l’écart en maths en faveur des garçons. […] Mais comprendre leur origine est plus important que de mettre en évidence ces différences.”
“[…] on constate que dans les pays qui se révèlent plus égalitaires et plus inclusifs (dans lesquels l’égalité des chances est plus forte) induisent moins de différence de réussite en maths entre les filles et les garçons. Ces corrélations sont assez fortes, et suggèrent donc plutôt une explication culturelle que biologique.”
“.Plusieurs moyens existent pour palier ces difficultés. Selon moi, les enseignants ont un rôle primordial dans le travail qui peut être fait sur les stéréotypes, et ont parfois tendance à se piéger (et piéger les enfants) sans le vouloir dans des biais de genre implicites.”