Quels sont les effets des écrans d’après les études scientifiques ?
Nicolas est Professeur de Psychologie du développement perceptif et cognitif à l’Université de Paris et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France (promotion 2012-2017). Il a participé au Co’ciliabule de la RéCRÉ qui a eu lieu le 30 juin 2021 portant sur “les écrans et les jeux vidéos”.
Lisez jusqu’à la fin, Nicolas propose des conseils aux adolescents et à leurs parents !
Interview faite par : Anaëlle Camarda
Retranscription faite par : Virginie Kehringer
Anaëlle Camarda (A.C) : Nicolas Poirel, pouvez-vous vous présenter rapidement et nous présenter en quelques phrases vos grandes thématiques et les principaux enjeux de vos recherches ?
Nicolas POIREL
Professeur en psychologie du développement à l’université Paris-Cité je suis aussi chercheur au LaPsyDÉ, un laboratoire du CNRS. J’effectue mes travaux de recherches à la fois sur Paris et sur Caen, dans un centre d’imagerie cérébrale qui s’appelle Cyceron. Je m’intéresse au développement cognitif et cérébral de l’enfant, plus particulièrement à l’attention visuelle et c’est dans ce cadre-là que je me suis questionné sur l’impact des nouvelles technologies, des écrans, du monde numérique, sur l’attention visuelle des enfants, des adolescents et des adultes ; parce qu’il est vrai qu’aujourd’hui on peut utiliser soit du papier/des livres, soit des écrans. On a de plus en plus d’étudiants à l’université qui utilisent des ordinateurs portables pour prendre des notes et apprendre leur cours. La question fondamentale pour moi en ce moment est : est-ce que le support sur lequel on étudie va influencer la mémoire/l’attention, la façon de mémoriser les informations, la façon de les considérer et même la façon de prendre des notes. Autrement dit, quand on prend des notes sur papier ou sur un clavier d’ordinateur, est-ce ou non le même processus ; et on sait aujourd’hui que la réponse c’est non, ce ne sont pas les mêmes processus cognitifs qui sont mis en œuvre. Voilà donc ce qui m’intéresse en ce moment.
A.C : La place des écrans dans la vie scolaire ou étudiante, dans la vie quotidienne, laisse l’impression qu’il s’agit de quelque chose d’essentiellement négatif. Est-ce le cas ? Les écrans ont-ils vraiment un effet négatif sur les enfants et les adolescents ?
Nicolas POIREL
C’est une vaste question, mais elle est pertinente et c’est de cette façon qu’elle est constamment présentée, y compris dans la communauté scientifique. Enfin, je devrais dire dans la communauté « pseudo-scientifique » parce qu’en regardant les CVs des personnes qui parlent des écrans on constate que très peu d’entre eux travaillent avec des enfants/adolescents et qui ne travaillent pas non plus sur le développement cognitif de l’enfant, ce qui est dommage !
La première chose à faire, donc, quand on entend que « les écrans, c’est mal », c’est d’aller voir qui en parle, quel est le parcours et les compétences de la personne qui en parle, en tapant simplement son nom dans notre moteur de recherche préféré… et on peut avoir de drôles de surprises ! Il faut rester curieux, mais avec toujours un minimum de recul pour ce qu’on lit ou entend ; prenez cette interview par exemple, et allez vérifier que je travaille bien sur le développement cognitif de l’enfant !
Les personnes qui diabolisent les écrans sont souvent des personnes qui ne travaillent pas directement avec des enfants, qui ne publient pas d’articles scientifiques sur le développement de l’enfant, ou qui sont d’un domaine très proche mais font par exemple de la recherche sur des enfants avec des pathologies, et qui vont constater que ces enfants font beaucoup d’écran. En fait, tous les enfants font beaucoup d’écran et c’est donc compliqué de tirer comme conclusion que certaines pathologies sont liées aux écrans sans mesurer précisément le temps d’écran des enfants qui ne présentent aucune pathologie et qui se débrouillent bien à l’école.
L’idée c’est qu’effectivement, les effets négatifs des écrans sont mis en avant mais quand on brasse le large éventail des publications scientifiques dans ce domaine, on s’aperçoit qu’il faut avoir un discours beaucoup plus nuancé. Les effets négatifs existent bel et bien, quand on fait trop d’écran (quand on ne fait que ça) : on peut avoir des effets délétères sur l’attention mais c’est tout de même assez rare et cela ne concerne qu’une toute petite proportion des enfants. Un adolescent lambda qui utilise beaucoup d’heures par jour son smartphone, n’a pas de troubles attentionnels liés aux écrans (une récente méta analyse des modèles statistiques utilisés dans les études sur les écrans depuis les 10 dernières années recense que moins de 20% d’entre eux permettent d’établir un lien entre utilisation des écrans et déficit attentionnel).
Tout dépend surtout de ce que l’on fait avec les écrans. S’il s’agit d’une activité saine, ludique et contrôlée, s’il s’agit de discussions, d’échanges avec des amis, ce n’est pas la même chose que regarder passivement la télévision, par exemple. On ne peut donc pas dire que c’est l’écran qui crée un trouble, c’est son usage qui peut générer des soucis ou des bénéfices. Il n’existe donc pas de réponse en « tout ou rien ».
A.C. : Cela amène donc la question de ces effets bénéfiques que vous venez de mentionner. Quels sont-ils et y a-t-il alors une « bonne » façon d’utiliser les écrans ?
Nicolas POIREL
Une bonne façon d’utiliser les écrans c’est de varier les contenus et ce que l’on fait avec ; cela concerne surtout les enfants et les adolescents. Pour les bébés, il est fortement recommandé de ne surtout pas les laisser seuls devant un écran. Ce sont les clés principales qu’il faut tout de même nuancer : ce n’est pas parce qu’un bébé restera de temps en temps une petite demi-heure seul face à un écran qu’il y aura un souci ! Il faut essayer d’accompagner au maximum les jeunes enfants, parce qu’on sait que chez eux, les écrans ne servent à rien : comme ils ne sont pas encore autonomes, il s’agit juste pour eux d’une succession de lumières et d’images, et ils ne vont rien en apprendre sauf si vous êtes avec lui. Dans ce cas, il va par exemple pouvoir apprendre du vocabulaire. Une étude très connue sur ce sujet du vocabulaire montre que pour un jeune enfant qui ne regarderait que les « Télétubies », il y aurait un lien entre le nombre de mots maîtrisés par l’enfant (vraiment très peu) et le temps passé devant l’émission ; si en revanche il regarde « Dora l’exploratrice », on constate qu’il va gagner des mots plutôt qu’en perdre. Il faut donc varier les contenus.
Les différentes utilisations sont aussi à prendre en compte : si on joue à des jeux de labyrinthe, d’action (PC, console, smartphone), les capacités attentionnelles des enfants se trouvent stimulées ; bien évidemment il ne s’agit pas d’en faire 15h par jour, mais à condition d’avoir une pratique modérée ce temps de jeu sur écran va améliorer les réflexes, le fonctionnement cognitif des enfants et même les capacités de lecture ! On s’est aperçu que la stimulation de l’attention visuelle et des réflexes avait ainsi des effets de transfert qui pouvaient permettre de mieux lire. (A ce propos n’hésitez pas à regarder la vidéo de Daphnée Bavelier – que vous pouvez sous-titrer en français)
Tout est donc dans la variété des activités et la modération du temps d’écran ; il reste tout aussi nécessaire de prendre l’air et de faire du sport, évidemment ! Si nous avions tous cette pratique raisonnée, il n’y aurait pas de problème.
A.C. : Et parmi ces différents usages des écrans, y a-t-il une distinction à faire entre la pratique plus spécifique des jeux vidéo et les autres usages ?
Nicolas POIREL
Chez les adolescents, le point de vigilance autour des jeux vidéo c’est la difficulté de réussir à le convaincre que c’est bien aussi d’aller faire autre chose. On se retrouve vite avec des jeunes qui passent une dizaine d’heures par jour devant leur écran et leurs jeux vidéo. Avec les jeux en réseau maintenant, en plus, il arrive parfois qu’ils discutent plus qu’ils ne jouent et cela nous questionne : à quoi cela leur sert-il ? Est-ce vraiment utile pour eux ?
Certain ne font que ça, donc le signal d’alarme c’est lorsque même le simple fait d’aller prendre l’air devient impossible. Il faut tâcher de maintenir des temps hors-jeu (pratique d’un sport, aller faire une course…) et tâcher d’observer un peu (sans être intrusif pour autant) ce qui se passe quand l’ado joue. S’il discute beaucoup, qu’il y a un groupe d’amis, une petite team, avec lesquels l’ado se retrouve régulièrement pour jouer ensemble en ligne (exemple type du jeu Fortnite), on s’aperçoit qu’il y a une vie sociale en parallèle de l’activité du jeu vidéo. Un des problèmes c’est de faire cela tard le soir et de ne faire que cela, que de l’écran, de ne jamais avoir, d’un point de vue physiologique, varié la distance du regard avec l’écran. Le problème que l’on a avec les enfants et les ados, si vous discutez avec des médecins notamment, c’est que dans cette posture, ils regardent très peu à l’infini (au loin) et la proximité systématique avec l’écran peut entraîner des troubles visuels ; expliquer ce processus physiologique à un adolescent peut lui permettre ainsi de ne pas rester fixé sur son écran d’ordinateur ou de smartphone.
Après, si tout semble bien se passer pour l’enfant/l’ado, si son activité de jeu vidéo n’empiète pas sur les autres activités nécessaires à son bon développement (ses devoirs, un sport, aller prendre l’air, des discussions avec les parents, l’entourage), alors on peut les laisser passer quelques heures sur les écrans ; il n’y a pas de raison que ça se passe mal.
Et le dernier point, c’est de s’efforcer de toujours terminer la journée par un peu de lecture traditionnelle avant de dormir : il faut reconnaître que ce n’est pas facile !
A.C. : D’ailleurs on entend souvent que les écrans peuvent poser des soucis au moment de l’endormissement, pour le calme nécessaire au sommeil. Est- ce que c’est avéré ?
Nicolas POIREL
En effet, des études ont montré que l’on perdait du temps de sommeil à cause de la lumière bleue (les LED qui constituent les écrans). Le problème est qu’aujourd’hui, ces LED sont partout, et pas seulement sur les écrans de smartphones / tablette / TV / ordinateur ; elles sont aussi dans la lumière ambiante donc il faut essayer de les éviter avant le sommeil car elles font croire à notre cerveau qu’il fait encore jour et cela gêne donc le passage à l’endormissement. On perdrait entre 8 et 15 minutes de sommeil, ce qui peut paraître anodin mais cela vient tout de même grignoter sur le temps de sommeil qui, notamment chez les adolescents, n’est déjà pas toujours très important. Cela peut jouer aussi sur la qualité du sommeil.
Deux conseils donc sur ce point : 1) laisser une lumière allumée avec une vraie ampoule (non LED) lorsqu’on est sur écran et pas juste dans le noir avec un écran. 2) finir par un livre ou quelque chose qui n’est pas un écran pour recaler le cerveau dans son rythme. Le bénéfice énorme qui vient s’ajouter pour l’enfant/adolescent, c’est que la lecture d’un livre permet de faire marcher son imagination avant l’endormissement, ce qui lui est bien plus profitable que la dernière histoire sur les réseaux sociaux avec ce qui se passe à l’école/collège/lycée.
Ces conseils sont d’ailleurs tout aussi valables pour les adultes !
A.C. : Il existe des chartes de recommandations pour les parents (éducation nationale, charte européenne…) autour de l’utilisation des écrans. Sont-elles pertinentes ?
Nicolas POIREL
Sans entrer dans le débat des chartes officielles ou non parmi celles qui ont été diffusées, je peux en recommander une qui, selon moi, serait la plus indiquée. Elle s’appuie sur les travaux du chercheur Serge Tisseron et sa « Diététique des écrans en famille » autour d’un système « 3-6-9-12 » et qui est accessible sur internet (3-6-9-12 | Serge Tisseron). Serge Tisseron a la particularité d’être psychiatre et en parallèle d’avoir une HDR en psychologie ; il est donc tout à fait qualifié pour donner des conseils pertinents d’autant plus qu’il s’intéresse personnellement à son sujet (jeux vidéo, pratiques des écrans). Dans ses recommandations, il prône notamment de minimiser le temps d’écran d’un enfant seul avant 3 ans, ou encore d’attendre 12 ans (ou au moins l’entrée en 6e) pour avoir accès aux réseaux sociaux. Entre 6 et 9 ans, il s’agit surtout de consoles de jeux et son conseil est donc de s’intéresser à ce que fait son enfant, le type de jeux auxquels il joue ; d’être curieux avec eux.
Par ailleurs, des ouvrages comme celui de Bruno Rocher ou le mien (Votre enfant devant les écrans : ne paniquez pas), on trouve aussi des conseils et des recommandations même s’il ne s’agit pas exactement d’une « charte ».
A.C : Un petit mot pour la fin, qui s’adresserait directement aux enfants/adolescents, notamment lorsqu’ils ont l’impression de devoir constamment « se battre » avec leurs parents pour justifier leur temps passé sur écran ?
Nicolas POIREL
Je dirais qu’au lieu de chercher à justifier le côté bon/mauvais des écrans, il faudrait plutôt expliquer à vos parents ce que vous faites, en quoi consistent vos jeux… Vos parents ne seront peut-être pas très réceptifs ni très intéressés, mais c’est important d’essayer de leur expliquer ce que vous faites, par exemple pour qu’ils comprennent pourquoi certaines parties de jeux vidéo durent plus ou moins longtemps. Pour celles qui durent moins longtemps, cela va permettre à vos parents de se dire : « Si ma fille/mon fils joue à ce jeu-là, je sais que dans 1/2heure elle/il pourra être disponible pour manger, faire ses devoirs, aider à la maison… ». Pour d’autres jeux, vous savez que la partie va durer plusieurs heures. Dans ces cas-là, si vos parents sont au courant, ils vont peut-être vous dire : « Alors compte tenu du temps nécessaire pour ce jeu-là, ce n’est pas le bon moment ; ou c’est bon, tu as le temps ». Mais s’ils ne sont au courant de rien, cela ne pourra pas marcher. La première étape c’est donc d’expliquer, d’informer vos parents.
Et puis il peut y avoir aussi la dimension récréative : il peut être très divertissant et agréable de regarder d’autres personnes jouer. Les adultes peuvent parfois trouver cela ridicule, mais c’est exactement la même chose que de regarder un match de basket à la télé ! Si je regarde un match, je ne le regarde pas au lieu d’aller faire du basket puisque je ne pratique d’ailleurs pas ce sport ! Je le regarde parce que cela me plait, comme on aime regarder le patinage artistique ou tout autre sport sans en faire soi-même. Il y a un côté ludique, agréable, détendant auquel les parents peuvent être réceptifs ; le tout étant de varier vos activités de détente, de jeux. Qui sait, certains parents peuvent même accepter et prendre plaisir à vous regarder jouer, à essayer de comprendre votre univers.
Pour aller plus loin, rendez-vous sur l’interview des enfants à propos des écrans, et la fiche de lecture du livre de Bruno !
Fiche de lecture du livre de Nicolas !
Quels sont les impacts des écrans d’après les enfants ?
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