Professeure de psychologie sociale à l’Université Lumière Lyon 2, Christine a participé au Co’ciliabule de la RéCRÉ qui a eu lieu le 31 mars 2021 portant sur “les garçons et les filles à l’école”.
Quel est l’état de la recherche sur les différences entre les filles et les garçons à l’école ?
Quand, pourquoi avons nous recours aux stéréotypes, et en quoi peuvent-ils être problématiques ?
Lisez jusqu’à la fin, Christine vous propose des conseils aux adolescents !
Interview faite par : Anaëlle Camarda
Retranscription faite par : Virginie Kehringer
Christine MORIN-MESSABEL
Je me suis aussi intéressée aux questions de mixité, notamment en lien avec l’apprentissage. Et puis toutes les questions liées à l’égalité filles/garçons et les questions psycho-sociales qui en découlent ; en général il s’agit du sentiment d’efficacité personnelle par exemple, les stratégies d’orientation, le rapport aux mathématiques notamment mais aussi de façon plus large à des disciplines spécifiques.
Certaines de mes recherches utilisent une méthodologie quasi expérimentale et vont s’appuyer sur des mesures directes : par exemple, après la lecture d’un album contre-stéréotypé à des enfants de grande section de maternelles, quelles sont leurs réactions immédiates par rapport à la lecture de cet album ? Nous avons alors recueilli des données à partir de dessins de leur moment préféré combiné avec une dictée à l’adulte de l’explication de ce dessin. J’utilise donc plusieurs méthodologies pour investiguer ces questions d’égalité de genre.
Christine MORIN-MESSABEL
Selon le contexte dans lequel on se trouve, ce dernier va évidemment moduler la saillance des catégories et donc moduler aussi les informations subjectives, c’est à dire la manière dont on va percevoir l’autre. Plus particulièrement, on parle de la catégorisation asymétrique de sexe : il s’agit d’une catégorisation très saillante sur le plan cognitif puisque le « sexe » de la personne que l’on rencontre est l’un des premiers indices identificatoires que l’on perçoit. A partir de ce début de catégorisation, on va distinguer tout de suite deux groupes : « nous », les personnes qui appartiennent à notre propre groupe, et « eux », celles qui appartiennent à un autre groupe.
Dès lors existe un processus d’assimilation intra-catégorielle qui fait que l’on s’identifie, que l’on se trouve des ressemblances avec les membres du groupe auquel on appartient, et à l’inverse un processus de différenciation intra-catégorielle qui fait que l’on se trouve différent des personnes que l’on a catégorisées dans un autre groupe que le sien.
Lorsqu’il s’agit de catégorisation sociale, il faut alors ajouter un biais d’homogénéisation de l’exogroupe : on trouve que les membres de l’autre groupe se ressemblent bien plus que nous ne ressemblons à ceux de notre groupe. Ces éléments de ressemblance et de différenciation vont reposer sur des caractéristiques qui sont censées définir le groupe. C’est à partir de là qu’apparaissent les stéréotypes : ce qui va définir mon groupe, ce sont des éléments prototypiques de mon groupe et de l’exogroupe.
Les stéréotypes se définissent alors comme un ensemble de croyances, en termes de traits de personnalité et/ou de comportement, qui est censé être associé à un groupe social donné. On possède donc des stéréotypes à la fois sur son propre groupe et sur l’exogroupe ; à la différence des préjugés, ces stéréotypes peuvent être aussi bien positifs que négatifs, tant pour mon propre groupe que pour l’autre. C’est pour cela qu’intervient ici, pour la catégorisation par sexe, une dimension qui dépasse la seule dimension cognitive. En effet, si les stéréotypes liés à la catégorisation de sexe sont si puissants, c’est parce que c’est cette catégorisation qui organise le monde social ; il s’agit donc de biais socio-cognitifs forts parce que si l’identification de sexe est aussi déterminante dans les interactions, c’est qu’elle est socialement déterminée par une dichotomie homme/femme très présente dans notre univers social. J’ajouterais juste que si les stéréotypes peuvent être positifs comme négatifs, il y a une tendance tout de même à associer à son propre groupe des stéréotypes plutôt positifs. Concernant maintenant l’exogroupe, la tendance n’est pas aussi claire puisque cela dépend des relations inter-groupes. Ainsi, les stéréotypes sont bien des biais socio-cognitifs : certains sont en quelque sorte automatisés et relèvent bien d’une dimension cognitive, mais tous sont construits à partir de l’univers social.
Christine MORIN-MESSABEL
La construction des caractéristiques de stéréotypes est donc associée à des éléments sociaux qui varient selon les moments socio-historiques : on connaît des stéréotypes nationaux, sur les fonctionnaires, les chefs d’entreprises… Les stéréotypes de genre sont anciens au regard de cette dimension socio-historique, et ils sont aussi asymétriques dans le sens où ce que l’on attribue aux femmes (la douceur, par exemple) porte une valeur positive pour ce groupe mais une valeur contraire pour l’exogroupe des hommes.
Ces stéréotypes sont donc nombreux (échelle de Bem, 1974) et s’appuient sur l’attribution d’une caractéristique particulière (la douceur) que l’on généralise à tous les membres de la catégorie (toutes les femmes sont douces), alors même que l’on a parfaitement conscience que toutes les femmes ne sont pas douces. On dira donc que « les femmes sont douces » est un stéréotype : c’est la socialisation genrée qui va amener (sans forcément réussir) les filles à se construire à travers certaines attentes stéréotypées. C’est cela que l’on observe à l’école, cette socialisation, cet apprentissage social des normes « de sexe » en lien et avec les éléments liés aux stéréotypes. Dans mes recherches en milieu scolaire, c’est notamment le rapport au domaine scientifique et technique qui m’a intéressé puisqu’au niveau des orientations, et ce depuis longtemps, on s’aperçoit que les filles s’orientent encore majoritairement dans certains secteurs, notamment ceux des soins. Il existe aussi des recherches sur la question de la manière dont elles se perçoivent en situation de compétition interpersonnelle. Cette question des stéréotypes et des attentes sociales stéréotypées peut s’observer effectivement chez les élèves, mais également chez les enseignants. Une dernière chose à savoir, c’est que les stéréotypes peuvent s’activer de façon relativement automatique (cf. les IAT, tests de mesure d’association implicite) ; nous n’avons pas ces stéréotypes tout le temps, mais on s’aperçoit que certains contextes particuliers activent les éléments stéréotypés, notamment les situations scolaires, les situations de performance.
Christine MORIN-MESSABEL
Même sans s’appliquer à soi-même les stéréotypes, on peut s’en retrouver « victime » malgré soi. Les stéréotypes gardent un impact fort : la menace du stéréotype reste présente même lorsque l’on n’y adhère pas. Par exemple, l’activation d’un stéréotype (les filles sont moins bonnes en maths) peut, à un moment donné, toucher les performances d’une étudiante en 2e année d’études supérieures même si cette dernière a confiance en ses capacités.
Les recherches se sont donc beaucoup portées sur les jeunes enfants, à cet âge où l’on constate une connaissance mais non forcément une adhésion aux stéréotypes de genre. En lien avec la socialisation, je me suis beaucoup penchée sur la question de savoir comment les jeunes enfants connaissent justement ces stéréotypes, notamment par des travaux autour des jouets, des albums de jeunesse, des lectures, des interactions entre pairs en maternelles/primaire, des groupes mixtes/non mixtes, des relations enseignants/enseignés, des relations parents/enfants… (cf. études publiées dans Enfance, 2006).
A.C : Finalement, est-ce que l’adolescence, la période de la puberté n’est pas un âge où les stéréotypes ont davantage de poids que dans l’enfance ?
Christine MORIN-MESSABEL
Ce ne sont pas tant les stéréotypes que les normes qui jouent à cet âge-là. Les stéréotypes sont vraiment socio-cognitifs et à l’adolescence on est plus sur une période où, en termes d’identité psychosociale et de normes, le jeune est confronté à des bouleversements psycho-sociaux, psycho-affectifs, etc. C’est très délicat car toutes les personnes ne sont pas homogènes dans leur manière d’adhérer aux normes de genre justement ; certaines vont plus adhérer que d’autres puisque certaines sont fortement genrées contrairement à d’autres. Il faut donc bien garder à l’esprit que tous les individus ne vont pas se ressembler dans leur niveau et leur degré d’adhésion aux stéréotypes et aux comportements normatifs ; il existe une grande variation interindividuelle.
Christine MORIN-MESSABEL
Christine MORIN-MESSABEL
A.C : Auriez-vous un message a faire passer aux enfants et / ou aux adolescents ?
Christine MORIN-MESSABEL
Pour aller plus loin, rendez-vous sur l’interview de Thomas BREDA, qui porte sur les différences entre les filles et les garçons, notamment en terme d’orientation !
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