Chercheur et chef de projet dans l’unité « Fatigue et vigilance » à l’institut de recherche biomédicale des Armées, Arnaud a participé au Co’ciliabule de la RéCRÉ qui a eu lieu le  27 octobre 2021 portant sur “Sommeil et rythmes scolaires”.

Que sait la recherche à propos des différents rôles du sommeil ? Quelles conséquences peut avoir une mauvaise régulation du sommeil chez les adolescents ?

Lisez jusqu’à la fin, Arnaud vous propose un peu de lecture et donne des conseils aux adolescents pour réguler et gérer leur sommeil de façon optimale !

Arnaud Rabat, vous travaillez aujourd’hui sur les problématiques autour du sommeil. Comment, en tant que chercheur en psychophysiologie, en êtes-vous venu à vous orienter vers cette thématique ?

A. RABAT :

C’est une question très intéressante parce que j’ai un parcours un peu atypique. Le fil conducteur de mon intérêt pour les sciences tourne autour de l’étude du comportement : je suis parti principalement sur l’étude du comportement animal et progressivement j’ai bifurqué vers le domaine de la physiologie et les neurosciences au travers de l’étude du comportement. Le thème du sommeil est arrivé dans mon champ de recherche un peu par hasard. En étudiant le sommeil et notamment ses perturbations, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une fonction physiologique intégrée, c’est à dire qu’elle a une répercussion bien plus générale et bien plus importante que ce que je pensais. Le sommeil n’a été qu’un prétexte pour comprendre à quel point l’homéostasie générale de l’organisme* dépend de contraintes physiologiques individuelles. On a peu d’informations sur la contrepartie que ces contraintes physiologiques engagent, et le sommeil est un bon exemple car on se rend compte qu’on ne gagne pas contre le manque de sommeil ; les conséquences du manque de sommeil sont l’illustration de cette nécessité qui nous est imposée de maintenir cette homéostasie générale.

Ce qui m’intéresse donc maintenant, c’est de comprendre quelles sont les conséquences et les effets durables d’une perturbation du sommeil sur le fonctionnement cognitif et le comportement de l’être humain (mécanismes qui permettent la régulation des comportements, des pensées individuelle, qui impacte aussi les interactions sociales et la dynamique collective).

* L’homéostasie correspond à la capacité d’un système à maintenir l’équilibre de son milieu intérieur, quelles que soient les contraintes externes. À l’échelle d’un organisme, il s’agit de l’ensemble des paramètres devant rester constants ou s’adapter à des besoins spécifiques (la température corporelle, le taux d’hormones … etc) ; le sommeil est l’un des systèmes qui permet cette régulation.

C’est quoi le sommeil ?

A. RABAT :

La classification internationale (revue il y a 10 ans) définit clairement 4 stades de sommeil. Le sommeil orthodoxe présente les stade 1 et 2 que l’on appelle le sommeil lent léger. « Lent » car les rythmes cérébraux sont ralentis durant ces périodes, et « léger » parce que les seuils perceptifs (auditifs, tactiles…) qui permettent de se réveiller sont bas. Puis vient le stade 3 qui devient un sommeil lent « profond »  parce que le ralentissement du rythme se maintient mais que les seuils perceptifs seront plus élevés. Le dernier stade est appelé sommeil « paradoxal » puisqu’il repose sur une contradiction : d’un côté, l’activité cérébrale est très proche de son activité à l’état de veille et le cerveau consomme alors une quantité d’énergie plus importante qu’aux stades précédents, mais d’un autre côté, la personne est comme paralysée car on a constaté une inhibition des neurones de la motricité dans la moëlle lors de cette phase particulière de sommeil (conséquence : la personne ne bouge plus).

Pourquoi le sommeil est-il aussi important ?

A quoi sert-il ? Pourquoi a-t-on besoin de dormir ?

A. RABAT :

Aujourd’hui on sait que le sommeil contribue à plusieurs grandes fonctions. On a besoin de dormir parce que le sommeil fait partie des grandes fonctions physiologiques préservées par l’organisme au même titre que la faim et la soif ; on ne peut pas lutter contre le manque de sommeil. Provoquer un manque de sommeil se répercute par des perturbations comportementales et même le fonctionnement psychologique de l’individu (fonctionnement cognitif, paranoïa, hallucination…).

D’un point de vue développemental, une première fonction du sommeil concerne la maturation cérébrale : la quantité de sommeil nécessaire est plus importante dans l’enfance, continue à l’être à l’adolescence et le reste à l’âge adulte, même en moindre quantité ; les proportions des deux stades que sont le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal sont plus importantes dans l’enfance et à l’adolescence. Il existe ainsi des arguments indirects pour dire que ces stades de sommeil participeraient notamment à la sélection des neurones et des réseaux de neurones qui seront gardés au cours du développement.

On sait aussi depuis au moins une cinquantaine d’années que le sommeil joue un rôle capital dans la consolidation des informations mnésiques (des informations en mémoire) ; la participation du sommeil à la consolidation et aux renforcements des apprentissages reste indiscutable et les questions actuelles portent plutôt sur les rôles des différentes phases de sommeil. Ont-elles des rôles complémentaires (le sommeil lent profond commencerait un processus que le sommeil paradoxal fixerait) ou différenciés (chaque phase de sommeil ciblerait un type de mémoire différent) ? Quoi qu’il en soit, la certitude du rôle du sommeil dans le renforcement de la mémoire en fait un facteur particulièrement important dans le développement durant l’enfance et l’adolescence.

Ensuite, d’un point de vue plus global, on sait que pendant le sommeil il y a une intrication avec d’autres fonctions biologiques d’importance : la consolidation et la bonne mise en place du système immunitaire, notamment lors du sommeil lent profond. Le sommeil participe à cette fonction biologique fondamentale quel que soit l’âge d’un individu. Le sommeil intervient aussi dans la détoxification cérébrale (notamment en stimulant des cellules / système spécifique*).

Enfin, le sommeil participerait à une sorte de remobilisation des ressources énergétiques de l’organisme : pendant l’éveil, nous dégradons de l’énergie en fabriquant des molécules organiques que l’on consomme ensuite. Durant le sommeil, le cerveau fonctionne a minima et cela permet donc de rééquilibrer les stocks d’énergie dans l’organisme afin de pouvoir démarrer la journée suivante en ayant toutes les ressources énergétiques nécessaires.

* Les cellules glialeElles assurent le maintien de l’équilibre des neurones et de produire la myéline, qui protège et isole les fibres nerveuses en leur apportant l’oxygène et les nutriments nécessaires à leur fonctionnement. Système lymphatique : Il protège le corps des maladies et des infections à travers la circulation dans tout le corps de la lymphe, un liquide transparent contenant des lymphocytes.

On entend beaucoup parler du fameux sommeil réparateur. Qu’en est-il des rythmes de sommeil ?

A. RABAT :

On sait aujourd’hui que le rythme veille/sommeil est synchronisé par notre horloge biologique avec d’autres fonctions physiologiques comme la température ou les hormones de croissance. Il existe donc une très forte cohérence entre notre rythme veille/sommeil et le fonctionnement de notre organisme tout entier.

Il reste encore bien des questions, et notamment autour du stade 2, celui qui se trouve avant le sommeil lent profond (stade 3) et le sommeil paradoxal (stade 4). On ne sait pas vraiment si ce stade 2 possède de réelles fonctions physiologiques ou s’il est un simple sommeil de remplissage. On constate que c’est sur la durée de ce stade que se fait la distinction entre les différents types de dormeurs : la majorité de la population (environ 80%) sont des moyens dormeurs dont les besoins se situent entre 6h30 et 8h30 de sommeil ; les 20% restant sont alors des petits dormeurs (moins de 6h30) ou des grands dormeurs (plus de 8h30).

Et chez les adolescents, y a-t-il des éléments spécifiques concernant les rythmes de sommeil ?

A. RABAT :

Dans les rythmes de sommeil, il existe un aspect lié au changement de rythme de notre horloge biologique interne : lorsqu’elle passe à un cycle de plus de 24h, on dit que les gens sont “du soir” et à moins de 24h ils sont “du matin”. Ce rythme varie selon l’âge d’une personne : 0-13 ans, on est plutôt du matin, comme après 22 ans. En revanche, la période de l’adolescence est “du soir”, ce qui n’est pas en concordance avec les contraintes sociétales des rythmes scolaires notamment. C’est pour cela qu’un jeune a plutôt envie de décaler ses horaires de sommeil pour leur consacrer (par exemple, la tranche horaire 2h-12h…).

On le constate justement en période de vacances lorsque les adolescents reprennent leur rythme naturel “du soir”. Les adolescents se trouvent un peu comme en décalage horaire permanent et doivent constamment se resynchroniser avec les rythmes sociétaux (notamment scolaire).

Que pourriez-vous nous dire sur ce qu’on appelle la dette de sommeil ?

A. RABAT :

Comme une dette financière ou d’oxygène, c’est une situation qui existe à partir du moment où la quantité de sommeil que vous vous octroyez est inférieure à celle que nécessitent vos besoins physiologiques. Les différences interindividuelles sont très fortes, que ce soient entre les classes d’âge ou au sein d’une même classe d’âge. On distingue toutefois deux situations :

la dette aiguë et drastique (privation totale de sommeil = nuit blanche) fait sentir de manière très évidente les effets du manque de sommeil ; il s’agit d’une situation clairement définie et identifiée mais qui reste tout de même peu fréquente la plupart du temps.

– la dette chronique : nous dormons certes, mais sans atteindre la quantité de sommeil dont notre organisme a vraiment besoin. Nos sociétés modernes nous placent plutôt dans cette seconde situation. Des études ont montré que du point de vue du maintien de la vigilance et des capacités attentionnelles, dormir 4h par nuit durant 7 jours consécutifs correspondait au même niveau de dégradation qu’une nuit blanche. Le risque de la dette chronique est donc de ne pas prendre conscience que l’on contracte une dette de sommeil parce que cette dernière est plutôt faible et que l’on va progressivement s’habituer à un fonctionnement physiologique un peu moins performant que l’on va finir par considérer comme normal, alors qu’il ne l’est pas totalement, et on s’habitue à un état qui est déjà lié à l’installation de la fatigue et de la somnolence. L’individu s’habitue à l’état affaibli dans lequel il est mais les effets physiologiques et psychologiques, eux, perdurent.

Quels conseils donneriez-vous directement aux adolescents ?

A. RABAT :

La première chose à faire, et la plus simple, c’est de connaître ses besoins. Il existe pour cela l’agenda de sommeil que l’on remplit quotidiennement sur une ou deux semaines, à la fois durant les vacances (lorsqu’on a retrouvé un rythme correspondant au rythme biologique individuel) mais aussi en période scolaire. Cela permet ainsi, par comparaison, de voir la différence de quantité de sommeil et donc de savoir si on est ou non en dette de sommeil (au-delà de 2h de moins que les besoins, cela peut commencer à poser des problèmes physiologiques et psychologiques). Il s’agit donc de pouvoir bien identifier si on est un gros/moyen/petit dormeur et s’il on est “du matin” ou “du soir”.

Le second conseil concerne La régularité. Une fois que le jeune connaît ses besoins, il peut alors s’efforcer de limiter au maximum le décalage de ses heures de coucher/lever pour éviter les incidences négatives notamment sur les capacités attentionnelles et la vigilance. Un rythme régulier de sommeil quelle que soit la période (scolaire, WE, vacances) favorise une bonne synchronisation des rythmes et un sommeil de bonne qualité à peu près toujours aux mêmes horaires. Pour cela, je recommande aussi de favoriser les synchroniseurs : l’exposition à la lumière, les activités physiques plutôt le matin ; il y a aussi les synchroniseurs sociaux (heures de repas, rencontres, temps de loisirs). Il vaut mieux, si on n’a pas le choix et que l’on ne peut pas dormir le nombre d’heures dont on a besoin en période scolaire, privilégier des heures de sommeil régulières dont la dette pourra en partie être compensée par des siestes méridiennes (15-20mn suffisent) durant les WE et/ou les congés.

Enfin, c’est une qualité de vie plus globale qu’il faut viser, et ce n’est pas le plus facile. Il faut s’efforcer d’éviter au maximum l’intrusion des systèmes connectés et activités de type réseaux sociaux au moment des périodes normalement consacrées au retour au calme et au sommeil ; la lecture, les jeux de sociétés sont préférables dans les heures qui précèdent celle de l’endormissement.

Pour aller plus loin, rendez-vous sur la fiche de lecture du livre d’Arnaud !

(Et n’oubliez pas, google scholar est l’ami de la science ouverte:) :

SOS Sommeil

Un ouvrage pour tout le monde ! 🙂 

Pour lire, c’est pas ici