En 2018, 758 000 bébés sont nés en France, faisant de notre pays, le plus fécond de l’Union Européenne* ! Ces nouveaux-nés jouiront-ils tous des mêmes chances de réussite dans leur future vie ? 

A en croire les statistiques, le niveau socio-économique dans lequel les enfants grandiront impactera leurs compétences, leur facilité à trouver un emploi et à vivre confortablement. Ces données alarmantes poussent à s’intéresser aux recherches récentes menées dans le cadre des neurosciences cognitives, qui se sont attelées à éclairer l’impact de l’origine sociale sur la vie d’un individu. Il apparaîtrait alors que la pauvreté et le manque d’accès à la culture influencent négativement le développement des fonctions cognitives et des capacités de langage de l’enfant. Le but de cet article est alors de 1) présenter les résultats des recherches fondamentales obtenues lors d’études en neurosciences, 2) de discuter des implications de ces résultats sur la vie quotidienne des enfants issus de milieux défavorisés, et 3) d’éclairer comment ces recherches permettent d’explorer de nouvelles pistes d’apprentissage qui permettraient à chacun de déployer son potentiel cognitif ! 

*(Insee, Tableaux de l’économie française, édition 2019) 

A. Notre milieu socio-économique peut-il avoir un effet sur le développement de notre cerveau et de nos fonctions cognitives ?


Les neurosciences désignent une vaste science, dans laquelle on étudie le cerveau sous toutes ses facettes. C’est donc naturellement que les chercheurs se sont intéressés à l’interaction entre le développement cérébral et les conditions environnementales des enfants et des adultes. Il se trouve que l’environnement le plus susceptible d’agir sur le développement cérébral est notre milieu socio-économique, puisque nous y naissons et grandissons.

Petite précision : Comment les chercheurs évaluent le niveau Socio-Économique d’un enfant?

Les recherches en sciences cognitives prennent généralement en compte le revenu total de la famille, le niveau d’éducation des parents ainsi que leur profession. 

Par conséquent, un enfant est considéré comme appartenant à un Groupe Socio-Économique (GSE) “haut” lorsque les professions des parents permettent d’avoir un revenu total de la famille au dessus du seuil de pauvreté, et des niveaux d’études qui permettent à l’enfant d’accéder à un certain niveau de connaissances grâce à leurs parents. A l’inverse, on considère qu’un enfant provient d’un GSE “bas”, quand les revenus de la famille sont en dessous du seuil de pauvreté et que le niveau de scolarité des parents est bas.

Lorsque les études en neurosciences cognitives prennent en compte le GSE (Groupe Socio-économique) des individus, elles s’aperçoivent qu’il existe un effet non négligeable de l’environnement socio-économique sur le développement des capacités cérébrales et ce, même chez des très jeunes enfants qui ne sont pas encore scolarisés. Attention, ces recherches montrent que les effets de l’environnement socio-économique sur le cerveau ne sont pas globaux, et que seuls le langage et les fonctions exécutives sont concernés !

Le milieux socio-économique impacte les compétences de langage :

Les études réalisées par un groupe de chercheurs américains (Kimberly Noble et al., depuis 2005) montrent que le niveau de vocabulaire possédé par de jeunes enfants qui entrent à l’école est différent selon s’ils grandissent dans un milieu socio-économique bas ou haut. Les enfants d’un GSE haut auraient plus de vocabulaire que ceux d’un GSE bas. Évidemment, cette différence de compétence langagière initiale a un effet direct et considérable sur les facilités d’apprentissage à l’école.  

Le milieux socio-économique impacte les fonctions exécutives :

Il semblerait que les enfants d’un GSE bas éprouvent plus de difficultés dans la réalisation de tâches cognitives évaluant les fonctions exécutives, c’est à dire les fonctions de haut niveau qui permettent à l’humain de planifier son comportement et ses actions (Noble et al., 2005, 2007). Ainsi, il serait plus difficile pour les enfants de GSE bas de maintenir en mémoire des informations pendant la réalisation d’un exercice (mémoire de travail), de rester concentré sur celui-ci (attention) et de bloquer les interférences provenant de stimuli extérieurs non pertinents pour la réalisation de cet exercice (inhibition). A l’inverse, il semblerait qu’appartenir à un GSE haut stimule le développement des fonctions exécutives. Les capacités visuo-spatiales (s’orienter dans l’espace, se souvenir de la configuration spatiale, etc.), sont quant à elles, semble-t-il, peu sensibles aux différents états de l’environnement socio-économique ! D’après les recherches, ces effets persistent chez des enfants plus âgés, et même chez les adultes (Raver et al., 2013, Last et al., 2018) ! 

Il impacte même le cerveau ! 

Les chercheurs ont observé que selon le groupe socio-économique, il existe des différences dans la structure cérébrale de l’individus (de 3 à 20 ans). Bien que petites, ces différences sont tout de même existantes ! Allant dans le sens des résultats discutés ci-dessus, on observe des différences dans le lobe temporal qui est une zone spécialisée entre autre dans le langage (en vert sur l’image ci-dessous) , et le lobe frontal, zone impliquée dans les fonctions exécutives (en bleu sur l’image ci-dessous) (Noble et al. 2012).

Ainsi, le niveau socio-économique dans lequel naît et évolue un individu semble influencer le développement structurel du cerveau, et donc le développement cognitif de l’enfant (en particulier le développement du langage et des fonctions exécutives). Par ailleurs, et avant tout, il faut garder en mémoire que les résultats d’une recherche scientifique sont dépendants des conditions expérimentales qui sont prises en compte par les chercheurs. Autrement dit, d’une étude à une autre, les effets du GSE sur le développement du cerveau apparaissent plus ou moins importants, voire inexistants, selon les conditions d’expériences et la manière dont sont évalués les niveaux socio-économique !

B.  Comment expliquer et contrer ces effets négatifs de l’environnement ?

Les résultats présentés ci-dessus ne sont pas étonnants, et il existe un grand nombre de raisons pouvant les expliquer. Ainsi, les chercheurs ne peuvent être exhaustifs quant aux différents facteurs influençant le développement de l’enfant. Malgré tout, certains facteurs en faveur/défaveur d’un développement sain peuvent être pointés du doigt.

Par exemple, les chercheurs supposent que des facteurs négatifs comme “le stress subit par la mère pendant la grossesse” ou “le stress auquel est soumis quotidiennement un enfant“, pourraient expliquer une grande partie des différences observées entre les GSE. Par effet boule de neige, les facteurs de stress pourraient avoir un impact significatif sur le temps d’interaction, d’aide et de stimulation de l’enfant qu’est en mesure d’apporter un parent. Plus le parent est à même de ménager ces différents temps, plus le développement de l’enfant en bénéficie !

Bien sûr, les chercheurs ou l’environnement scolaire ne peuvent modifier la présence de ces facteurs positifs et négatifs, qui relèvent de l’environnement social  et économique de l’enfant.

Les études (Raver et al., 2013, Last et al., 2018) montrent que l’école ne suffit pas à supprimer les effets, puisqu’ils se maintiennent avec l’âge. L’enquête PISA (2018) de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique), qui évalue et compare les capacités de lecture et de mathématiques des enfants de 15 ans provenant de différents pays, révèle que la France est l’un des pays où l’origine socio-économique a le plus d’impact sur la réussite dans ces matières. Ainsi, il apparaît que le système scolaire français ne permet pas de réduire les inégalités sociales en terme d’apprentissage

Ce que les sciences cognitives et les neurosciences peuvent apporter, ce sont des moyens et des stratégies pédagogiques qui permettraient de contrer, ou du moins diminuer, ces effets négatifs. Par exemple, une des recherches emblématiques, qui montre la force de l’interaction entre le milieu scolaire et les chercheurs en psychologie cognitive et développemental est le programme Tool of mind (Diamond et al., 2007), développé au Canada. Lors de ce programme, les enfants d’école maternelle défavorisés ont bénéficiés d’ateliers créés spécifiquement dans le but de stimuler leurs fonctions exécutives (inhibition, mémoire de travail, etc). Par de petits exercices ludiques, les enfants ont appris à s’inhiber lorsque leur camarade parle, ou bien à inhiber une action engagée. Diamond et son équipe ont alors comparé les compétences des enfants ayant suivi ce programme scolaire durant 1 ou 2 ans, à ceux n’ayant pas eu cette chance. Il apparait que l’utilisation de ce type de programme (constitué grâce à une alliance entre les sciences cognitives et les spécialistes du monde de l’éducation) stimule significativement les fonctions exécutives, mais aussi les compétences scolaires des enfants de milieux défavorisés.

C. Finalement … Les “désavantages” des enfants provenant de milieux socio-économiques bas en sont-ils vraiment ?


Il est important de ne pas faire d’amalgame entre la mise en évidence de compétences cognitives (langagières & fonctions exécutives) moins bonnes chez les enfants provenant d’un GSE bas, et le fait que ces enfants soient “sous développés”. 

En effet, les travaux de Kimberly Noble et son équipe mettent en avant que certaines capacités ne semblent pas être affectées par l’environnement Socio-Économique dans lequel évolue l’individu (par exemple : les capacités visuo-spatiales). Cependant, d’autres fonctions pourraient être meilleurs chez des individus d’un GSE bas. A ce propos, de nombreux enseignants que nous avons rencontré lors de nos recherches, louent les qualités des enfants provenant de GSE bas : notamment leurs qualités d’adaptation à de nouveaux environnements, ou encore le fait qu’ils puissent être bilingues et connaître d’autres cultures, ce qui apporte énormément aux enfants n’ayant pas cette chance ! 

Citons de plus, l’expérience de Thompson et al. (2020) qui montrent que les personnes d’un GSE bas sont plus performantes lorsqu’il s’agit de certaines compétences de régulation émotionnelle. Dans cette étude les individus devaient choisir parmi une liste proposée, le film qu’ils souhaiteraient voir ou bien le livre qu’ils souhaiteraient lire. Une fois choisi, il leur était annoncé que leur choix n’était plus disponible. Les auteurs ont alors démontré que les personnes à GSE bas sont plus enclin à vouloir attendre que leur choix soit à nouveau disponible que des personnes à GSE haut, qui préfèrent faire un nouveau choix. Certains diraient que les personnes à GSE bas sont moins flexibles, ce qui irait dans le sens des études décrites précédemment qui pointent une faiblesse des fonctions exécutives. Mais notons tout de même que ces mêmes personnes bénéficient d’une patience plus importante, ce qui est une qualité fortement appréciée lorsqu’il s’agit de résoudre une tâche ou bien lors de situation sociales !

Enfin, les enfants évoluent bien mieux lorsqu’ils sont en milieux mixtes, que lorsqu’ils proviennent tous du même milieu. A ce titre un prochain article vous sera bientôt proposé sur les intérêts de la mixité sociale à l’école ! Provenir d’environnements différents n’est-il pas une source d’apprentissage et d’ouverture en classe ?

Pour conclure … 

Les neurosciences cognitives ont permis d’éclairer sur l’impact de l’environnement dans lequel nous grandissons sur le développement cérébral et donc sur nos capacités cognitives. Il reste désormais à préciser les effets de cet environnement et à développer des programmes appropriés à chacun afin de limiter ou contrer ces effets négatifs. 

Les recherches en neurosciences cognitives sur les inégalités sociales sont certes encore récentes, mais permettent d’ores et déjà d’envisager de nouvelles stratégies pédagogiques. En tant que parent ou enseignant, vos observations sur les capacités des enfants, quel que soit leur GSE, sont indispensables pour accompagner les recherches scientifiques. Désormais la science se doit d’être plus collaborative, alors n’hésitez pas à commenter cet article ou à nous faire des retours sur votre pratique ! 🙂

 

Bibliographie :

 

  • Cybele Raver, C., Dana Charles McCoy, Amy E. Lowenstein, et Rachel Pess. « Predicting Individual Differences in Low-Income Children’s Executive Control from Early to Middle Childhood ». Developmental Science 16, no 3 (mai 2013): 394‑408. https://doi.org/10.1111/desc.12027.
  • Diamond, A., W. S. Barnett, J. Thomas, et S. Munro. « THE EARLY YEARS: Preschool Program Improves Cognitive Control ». Science 318, no 5855 (30 novembre 2007): 1387‑88. https://doi.org/10.1126/science.1151148.
  • Last, Briana S., Gwen M. Lawson, Kaitlyn Breiner, Laurence Steinberg, et Martha J. Farah. « Childhood Socioeconomic Status and Executive Function in Childhood and Beyond ». Édité par Lutz Jäncke. PLOS ONE 13, no 8 (24 août 2018): e0202964. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0202964.
  • Noble, Kimberly G., Suzanne M. Houston, Eric Kan, et Elizabeth R. Sowell. « Neural Correlates of Socioeconomic Status in the Developing Human Brain: Neural Correlates of Socioeconomic Status ». Developmental Science 15, no 4 (juillet 2012): 516‑27. https://doi.org/10.1111/j.1467-7687.2012.01147.x.
  • Noble, Kimberly G., Bruce D. McCandliss, et Martha J. Farah. « Socioeconomic Gradients Predict Individual Differences in Neurocognitive Abilities ». Developmental Science 10, no 4 (juillet 2007): 464‑80. https://doi.org/10.1111/j.1467-7687.2007.00600.x.
  • Noble, Kimberly G., M. Frank Norman, et Martha J. Farah. « Neurocognitive Correlates of Socioeconomic Status in Kindergarten Children ». Developmental Science 8, no 1 (janvier 2005): 74‑87. https://doi.org/10.1111/j.1467-7687.2005.00394.x.
  • Thompson, Debora V., Rebecca W. Hamilton, et Ishani Banerji. « The Effect of Childhood Socioeconomic Status on Patience ». Organizational Behavior and Human Decision Processes 157 (1 mars 2020): 85‑102. https://doi.org/10.1016/j.obhdp.2020.01.004.

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