Économiste et chercheur CNRS à l’École d’Économie de Paris (voir sa page internet), Thomas a participé au premier Co’ciliabule de la RéCRÉ qui a eu lieu le 31 mars 2021 portant sur “les garçons et les filles à l’école”.

Quel est l’état de la recherche sur les différences entre les filles et les garçons à l’école ? Ces différences sont-elles liées à des causes biologiques ou culturelles ?

Lisez jusqu’à la fin, Thomas vous propose un peu de lecture et donne des conseils aux adolescentes qui auront bientôt à choisir leur orientation professionnelle !

Thomas Breda, vous travaillez depuis plusieurs années sur les différences de genre/de sexe. Quels sont vos grandes thématiques et les principaux enjeux de vos recherches ?

T. BREDA :

De manière très générale, ce qui m’intéresse ce sont les liens entre les normes sociales et la façon dont elles affectent le fonctionnement des marchés économiques. Donc sur le marché du travail, s’il n’y avait que des mécanismes de marché à l’oeuvre, il ne devrait sans doute pas y avoir de discrimination. Alors on peut penser que les fortes différences qu’on observe entre les femmes et les hommes en terme de métier, de choix, et éventuellement la discrimination, tout cela découle d’interactions entre des normes sociales, des normes de genre qui affectent les décisions des individus et donc viennent interagir avec le fonctionnement du marché, peut-être en le rendant moins efficace et possiblement en créant des injustices, des formes d’inégalité

Ensuite je me suis intéressé en particulier à la question de de la sous-représentation des femmes en sciences puisque, finalement, une des différences fondamentales de nos sociétés c’est que les femmes et les hommes font des choses très différentes, à la fois à l’école puis au travail, et puis en dehors de l’école et en dehors du travail, mais tout cela est lié. Finalement, c’est une question fondamentale d’essayer de comprendre d’où cela vient et des débats de fond autour de cette question permettraient de savoir à quel point ces effets seraient naturels ou si cela découlerait de processus de sélection, de spécialisation et de culture ; s’agit-il de processus de type darwinien sur de longues périodes ou bien les influences culturelles jouent-elles un rôle qui pourrait avoir des effets à plus court terme ?

En France, observe-t-on des différences entre les filles et les garçons sur les matières scolaires, en particulier les maths ou sur les langues ?

T. BREDA :

Pour la France, dans les grandes enquêtes comme PISA ou autres grandes enquêtes visant à mesurer les apprentissages et les compétences des élèves de 15 ans à la fois en sciences et en français, on observe des écarts importants. Les filles sont significativement moins fortes en maths et plus fortes en français ; de plus l’écart en français en faveur des filles est plus important que l’écart en maths en faveur des garçons. Mais c’est encore plus le cas en France que dans d’autres pays où on observe toujours ce même décalage en faveur des garçons en mathématiques et en faveur des filles en français. Alors oui, il y a bien des écarts entre les filles et les garçons, mais comprend leur origine est plus important que de mettre en évidence ces différences.

Comment savoir d’où proviennent ces différences ?

T. BREDA :

C’est un débat qui date d’il y a plus d’un siècle, si l’on se réfère à des exemples de débat tels que celui sur “la bosse des maths” ou celui autour des “génies en mathématiques”. Il s’agit d’un débat très vieux sur le fait qu’il y aurait des aptitudes plus fortes chez les hommes pour les sciences et que ce pourrait être pour des raisons biologiques.

Une manière de regarder cette question est d’essayer de voir s’il existe justement des différences entre cultures, et donc de faire des comparaisons de pays.

Il y a des pays qui partagent aussi des proximités de bagage génétique. Je n’en ai pas fait personnellement mais d’autres chercheurs ont effectué des mesures de proximité génétique entre pays. Il ne s’agit pas simplement de pays voisins mais aussi de pays liés par des migrations historiques très anciennes. Deux pays peuvent ainsi se retrouver, par exemple, avec plus ou moins de bagage génétique Néandertalien dans leurs gènes. Il apparaît donc possible de faire des comparaisons pour tester les hypothèses d’explications biologiques versus culturelles. Finalement, les pays qui partagent des différences similaires de réussite en maths et en français entre les filles et les garçons, sont-ils ceux qui ont bagage génétique commun où bien ceux qui partage la même culture ?

Dans mes recherches personnelles, je me suis plutôt intéressé à des variables culturelles, en l’occurrence à des mesures permettant de savoir à quel point les pays sont égalitaires et inclusifs. En d’autres termes, on questionne à quel point la descendance socio-économique (par exemple, être enfant d’ouvriers ou d’employés) produit des inégalités qui se répètent de génération en génération, ou bien si le système permet tout de même de donner des chances importantes à tout le monde ; On prend alors en compte des mesures telles que “à quel point y a-t-il des inégalités de salaires au travail ?” ou encore “à quel point le système scolaire donne-t-il une chance égale à tout le monde ?”.  Pour différentes mesures de cet ordre, assez générales, on constate que dans les pays qui se révèlent plus égalitaires et plus inclusifs (dans lesquels l’égalité des chances est plus forte) induisent moins de différence de réussite en maths entre les filles et les garçons. Ces corrélations sont assez forte, et suggèrent donc plutôt une explication culturelle que biologique.

Ces différences sont observables y compris dans une perspective d’évolution temporelle : Les pays pour lesquels inégalités se sont les moins creusés au cours de ces différentes années sont aussi les pays au sein desquels l’écart entre les filles et les garçons a évolué en faveur des filles ; elles y ont rattrapé leur écart en maths, et elles s’en sortent mieux en sciences. On arrive ainsi non seulement à observer des évolutions rapides sur des périodes assez courtes (15-20 ans), mais également à observer des évolutions des écarts filles/garçons en maths corrélés avec les variables culturelles des pays. Ces deux aspects, les effets de corrélation et le fait que ces écarts puissent bouger rapidement dans le temps, suggèrent plutôt des explications culturelles que biologiques puisque le bagage génétique n’évolue, lui, que très, très, très lentement.

Vous avez parlé de pays plus inclusifs, plus égalitaires. Est-ce que vous auriez des exemples à nous donner ?

T. BREDA :

On pense très vite aux pays du Nord de l’Europe, aux pays scandinaves : la Suède, la Norvège, la Finlande, le Danemark.

Concernant la France, est-elle plutôt un pays inclusif ou bien reproduit-elle les inégalité sociales à l’école ?

T. BREDA :

D’après les enquêtes PISA, la France est le pire pays de l’OCDE en terme de reproduction des inégalités sociales. Et même s’il ne faut pas faire de surinterprétation pour un pays, on constate que les écarts filles-garçons en France sont particulièrement importants et qu’ils ont de plus tendance à se maintenir dans le temps.

Quels seraient les leviers que les enseignants pourraient utiliser pour essayer d’être plus inclusifs, afin de réduire les différences maths/français entre les filles et les garçons, et d’impacter positivement leur orientation future ?

T. BREDA :

Plusieurs moyens existent. Selon moi, les enseignants ont un rôle primordial dans le travail qui peut être fait sur les stéréotypes, et ont parfois tendance à se piéger (et piéger les enfants) sans le vouloir dans des biais de genre implicites. Ce n’est pas forcément simple d’agir tout seul. Cependant, de plus en plus de méthodes, de stratégies, de formations de psychologie cognitive existent pour dé-biaiser les individus, à destination des recruteurs ou des enseignants.

Une première stratégie serait donc de travailler individuellement sur les représentations implicites des enseignants, en utilisant un type d’outils de test qui s’appelle “le test d’association implicite”. Ces représentations sont appelées “implicites” car nous n’en sommes pas nécessairement conscient, mais elles peuvent avoir un effet sur autrui. Pour un enseignant, cela peut être intéressant de tester sa sensibilité au biais de genre en passant le test en ligne, gratuitement (pour vous tester, cliquez ici !). Ce test a beaucoup de limites mais il permet au moins d’être sensibilisé à la question et cela peut être une manière pour les enseignants d’être plus attentifs à la façon dont ils s’adressent à leurs élèves; Plus attentifs aux attitudes et comportements subtiles et difficilement détectables au quotidien, mais pourtant bien présents, qui influencent les comportements et les attitudes des filles et des garçons, et qui peuvent contribuer à l’effet général de la société qui pousse les filles et les garçons vers des filières différentes.

Par ailleurs, d’autres actions peuvent être mises en place, notamment autour de l’orientation professionnelle des jeunes. Par exemple, il apparaît nécessaire de faire attention aux critères qui sont utilisés pour conseiller les élèves dans leur orientation. Quelque chose de très caractéristique est notamment de dire aux étudiants d’aller “là où ils sont les plus forts”.  Statistiquement, il se trouve que les filles sont souvent plus fortes en français et un peu moins bonnes en maths, et cette probabilité est vraiment beaucoup plus importante que pour les garçons ; quand on regarde dans les données c’est vraiment extrêmement fort (2 filles sur 3 sont meilleures en français qu’en maths, alors que seul 1 garçon sur 3 sont meilleurs en français qu’en maths). Dès lors, le critère qui consiste à choisir son orientation en fonction de la matière dans laquelle l’élève est le plus fort contribuera quand même à générer beaucoup de ségrégation. Une alternative consiste à proposer aux élèves qu’ils s’orientent vers ce “qu’ils aiment bien”, vers “ce qui leur plaît”, qu’ils peuvent s’intéresser aux débouchés dans les différents métiers.  Ce n’est pas forcément une pratique encore très répandue chez les enseignants de travailler l’orientation en fonction des débouchés mais en même temps cela peut rendre service aux étudiants en favorisant une réduction des inégalités de choix.

Un petit mot à destination des jeunes filles, des adolescentes ?

Une sorte de recommandation ?

T. BREDA :

Il est important de considérer tous les choix possibles, que tout est ouvert, qu’elles ne doivent pas hésiter à faire ce qu’elles ont envie de faire, qu’elles n’hésitent pas à considérer des choix auxquels elles n’auraient pas forcément pensé dès le départ.

J’ai mené différents travaux de recherches qui s’intéressent à la discrimination dans les matières scientifiques dans les filières scientifiques. Ce qu’on a démontré, est qu’en réalité il n’y a pas de discrimination et qu’au contraire les recruteurs, dans ces métiers où il n’y a presque que des hommes, sont ravis d’avoir des femmes et des jeunes filles, dans les concours des grandes écoles ainsi que dans les entreprises. Les recruteurs essayent plutôt d’avoir des filles et les encouragent, donc elles n’ont pas de raison d’avoir peur car elles seront généralement très bien traitées et reçues. Il y a beaucoup de témoignages de femmes scientifiques connues qui vont dans ce sens.

Il ne faut pas avoir de crainte de ce côté-là et se permettre de saisir toutes les opportunités.

Pour aller plus loin, voici quelques références que Thomas vous propose

(N’oubliez pas, google scholar est l’ami de la science ouverte:) :

A propos des différences cognitives chez les jeunes enfants :
  • Spelke, E. S. (2005). Sex differences in intrinsic aptitude for mathematics and science?: a critical review. American Psychologist, 60(9), 950.
  • Halpern, Diane F., Camilla P. Benbow, David C. Geary, Ruben C. Gur, Janet Shibley Hyde, and Morton Ann Gernsbacher. “The Science of Sex Differences in Science and Mathematics.” Psychological Science in the Public Interest8.1 (2007): 1-51
Sur le rôle des biais implcites chez les enseignants :
  • Carlana, M. (2019). Implicit stereotypes: Evidence from teachers’ gender bias. The Quarterly Journal of Economics, 134(3), 1163-1224.
A propos des écoles non mixtes :
  • Booth, A. L., & Nolen, P. (2012). Gender differences in risk behaviour : does nurture matter?. The economic journal, 122(558), F56-F78.
A propos du rôle des modèles (rôle – modele) :
Retrouvez une sélection des travaux de Thomas Brada (disponible sur sa page):

Interview écrite de Thomas Villemonteix – La régulation émotionnelle, c’est quoi ?

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