Rare femme neuroscientifique de sa génération, Marian Diamond apporta au cours de sa carrière les premières preuves de la neuroplasticité et permis également d’améliorer nos connaissances sur les rôles des cellules gliales dans la transmission de l’information nerveux, notamment en publiant le premier papier de recherche sur le cerveau d’Albert Einstein. En outre, passionnée par l’enseignement, elle donna de nombreux cours tout au long de sa carrière et s’engagea pleinement en faveur de l’éducation pour toutes et tous. Ayant réussi à s’imposer dans un milieu scientifique réservé aux hommes, elle représente un symbole pour la lutte des droits des femmes pour l’accès à l’éducation et à des postes élevés d’enseignement et de recherche.
A. La vie de Marian Diamond en quelques mots
Née en 1926 en Californie (USA), Marian Diamond (de naissance Marian Cleeves) est la sixième fille du médecin Montague Cleeves et de l’enseignante de latin Rosa Marian Wamphler Cleeves. Adolescente, via le métier de son père, elle découvre pour la première fois un cerveau humain, et développe une passion pour l’anatomie. Dans une interview, elle déclare que la première chose qu’elle s’est dite en voyant ce cerveau fut : “Ces cellules peuvent faire des idées” (My love affair with the brain : the life and science of Dr. Marian Diamond, Luna Production). Adulte, elle entame alors des études d’anatomie et devient ainsi la première femme étudiante diplômée du département d’anatomie de l’Université de Berkeley (Californie, USA). C’est dans cette même université, qu’elle obtient son doctorat en 1953 sur les interrelations fonctionnelles de l’hypothalamus et de la neurohypophyse.
A la suite, de son doctorat, elle poursuivit sa brillante carrière de chercheuse et d’enseignante à l’université. En 1955, elle devint la première femme enseignante en science à l’université de Cornell (USA) où elle enseignait la biologie humaine et l’anatomie comparée. Puis en 1960, elle réintègra l’université de Berkeley pour rejoindre une équipe de recherche composée de deux psychologues et d’un chimiste, en tant que neuroanatomiste. C’est avec cette équipe, qu’elle réalisa les contributions scientifiques majeures de sa carrière. En parallèle, elle jongla avec son statut d’épouse et de mère. En effet, à 31 ans, Marian Diamond était déjà enceinte de son quatrième enfant !
En 1964, elle publia avec son équipe son premier article scientifique sur la plasticité cérébrale. Vingt ans plus tard, ce sont ses recherches sur le cerveau d’Einstein qui la font connaitre du grand public. Le caractère insolite de l’étude et son originalité suscitent l’engouement des journaux de l’époque.
Elle continua sa carrière d’enseignante à l’université de Berkeley jusqu’à ses 80 ans, et fut promue Professeure émérite jusqu’à sa mort le 25 juillet 2017 à l’âge de 90 ans.
B. La naissance de la neuroplasticité
L’équipe de recherche que rejoignit Marian Diamond en 1960, fut fondée en 1953 par deux psychologues (David Krech et Mark R.Rosenzweig) et un chimiste (Edward Bennett), dans le but d’étudier le lien entre la chimie du cerveau et le comportement intelligent chez l’animal. Très vite, Marian Diamond considéra qu’afin d’étudier les relations entre le cerveau et le comportement, il fallait mettre en évidence la neuroplasticité, c’est-à-dire démontrer que le cerveau pouvait changer en fonction des contraintes de l’environnement.
Elle mit alors en place une expérience très simple afin de déterminer les effets de l’expérience sur le cerveau. Son dispositif consistait à mettre plusieurs rats dans différents types d’environnement pendant 80 jours et à déterminer si à terme leur structure cérébrale présentait des différences significatives. Les rats étaient choisis de façon à minimiser les effets des contraintes génétiques sur les différences observées. En effet, les années 60 étaient encore ancrées dans le paradigme de la génétique, et de ce fait la majorité de la communauté scientifique considérait que le cerveau était immuable pendant la vie adulte, puisque les caractéristiques cérébrales d’un individu sont inscrites dans son ADN, et donc prédéterminés avant la naissance. Ainsi, en choisissant des rats de la même famille, et de même sexe (mâles), Marian Diamond a pu démontrer que les différences cérébrales apparaissant entre les rats placés dans différents environnements étaient bien dues aux effets de l’environnement.
Ainsi il eut trois conditions environnementales :
Riche
Rats à plusieurs dans une cage = rats sociabilisés Jouets dans la cage = rats stimulés |
Standard
Rats à plusieurs dans une cage = rats sociabilisés Pas de jouets dans la cage = rats non stimulés |
Pauvre
Rats seuls dans leur cage = rats isolés Pas de jouets dans la cage = rats non stimulés |
Ces expériences furent répliqués de nombreuses fois, et plusieurs paramètres tels que l’âge, la lignée des rats, le type de stimulation (expérience) furent contrôlés. A chaque fois, les résultats étaient similaires. Marian Diamond a ainsi pu démontrer que selon l’environnement, le cerveau se modifie et est donc plastique.
En 1964, Marian Diamond et son équipe publièrent leurs observations dans un article « Chemical and Anatomical Plasticty of the brain » dans Science, et démontrèrent l’importance de la prise en compte de l’environnement et des expériences sur le développement du cerveau. Malheureusement, leur article fut mal accueilli par une partie de la communauté scientifique pour deux raisons principales: Tout d’abord, parce que la communauté scientifique était alors convaincue que le cerveau ne pouvait pas changer; Deuxièmement, Marian Diamond fut confrontée à des préjugés sexistes, qui décrédibilisèrent le sérieux de ses recherches.
Si la question du milieu environnemental vous intéresse, nous avons écrit un article discutant quelques effets du milieu socio-économique sur le cerveau !
C. L’importance des cellules gliales
Non déstabilisée par l’accueil mitigé de ses recherches, Marian Diamond poursuit ses travaux chez le rat et chez l’Homme. Chez le rat, elle observa que ce qui était responsable de la différence de poids entre le cortex cérébral des rats du milieu riche, et des rats du milieu pauvre, étaient le nombre de cellules gliales par neurone. Plus les rats étaient dans un environnement riche, plus ils avaient un ratio cellule gliale/neurone élevé. Il existerait donc un lien entre expérience et cellules gliales.
Il est important de noter que les cellules gliales représentent la moitié des cellules du cerveau (l’autre moitié étant les neurones), et qu’elles étaient déjà connues à l’époque pour assurer un rôle de soutien aux neurones. En revanche, l’idée que les cellules gliales puissent jouer des rôles plus importants pour la transmission des messages nerveux, ou les capacités cognitives, n’étaient pas encore admis. Marian Diamond poursuivit également ses recherches chez l’Homme, avec l’idée que si le cerveau était muable selon un environnement riche ou non chez le rat, il devait l’être aussi chez l’espèce humaine selon les expériences.
D. Le cas du cerveau d’Einstein
Marian Diamond réussît à obtenir des coupes de parties des cortex préfrontal et pariétal du cerveau d’Einstein afin de voir quelles pouvaient être les particularités du génie.
Elle publia en 1984, elle publia le tout premier article de recherche sur le cerveau d’Albert Einstein ! Ces résultats lui ont permit d’atteindre une renommée auprès du grand public. Tout comme chez les rats de la condition riche, le cerveau d’Einstein présentait la particularité d’avoir plus de cellules gliales par neurone que les autres hommes de l’étude, surtout au niveau pariétale dans l’hémisphère gauche, au niveau de l’aire 39 de Brodmann (partie la plus rose ci-dessus).
Bien sûr, les observations faites sur le cerveau d’Einstein, sont difficiles d’interprétation, notamment en raison de questions relatives à la conservation du cerveau, ce qui explique en partie pourquoi cette étude a également été controversée lors de sa parution.
Cependant les études de de Diamond et son équipe, ont permis d’alimenter les théories quant à l’importance du rôle des cellules gliales dans le traitement de l’information nerveuse, et aujourd’hui c’est tout un champ des neurosciences qui s’y consacre.
Cependant les études de de Diamond et son équipe, ont permis d’alimenter les théories quant à l’importance du rôle des cellules gliales dans le traitement de l’information nerveuse, et aujourd’hui c’est tout un champ des neurosciences qui s’y consacre.
E. L’héritage de Marian Diamond
Au delà d’être une excellente chercheuse, Marian Diamond est aussi une femme engagée !
En ce jour des droits des femmes, il faut souligner à quel point les femmes scientifiques ont aussi peu marqué les mémoires par rapport aux hommes, malgré l’importance de leurs découvertes. Tout le long de sa carrière, Marian Diamond a dû faire face aux commentaires et actes sexistes de la part de ses confrères masculins. D’ailleurs, elle indiqua lors de sa publication de 1964, que ses collègues masculins, pour qui publier un article avec une femme était totalement nouveau, n’ont pas su s’ils devaient l’indiquer comme autrice ou non. Par conséquent, avant qu’elle n’intervienne, son nom a alors été placé en dernière position. En tant qu’homme, “Marian Diamond” aurait été le premier nom cité.. (My love affair with the brain : the life and science of Dr. Marian Diamond, Luna Production).
Marian Diamond milita toute sa vie pour le droit des femmes scientifiques. En 1963, elle réalisa par exemple, une enquête « Women in modern science » pour le Journal of the American Medical Women’s Association, soulignant déjà le problème que les femmes scientifiques n’atteignent pas à la même vitesse que les hommes des postes élevés.
Par ailleurs, Marian Diamond, marquée par ses découvertes de l’effet de l’environnement riche ou pauvre sur le développement des capacités cérébrales, milita toute sa vie pour l’importance de l’éducation. Cette idée sera caractérisée par sa fameuse citation qui sera reprise et discutée dans un prochain article – « use it or loose it », selon laquelle si on n’utilise pas certaines parties de notre cerveau elles auront tendances à se perdre. C’est pourquoi, elle consacra notamment une partie de sa carrière à la création d’un programme pédagogique au Cambodge, afin de donner un environnement plus stimulant / enrichissant aux enfants défavorisés.
Pour Aller plus loin …
Marian Diamond fut une professeure d’anatomie très aimée et respectée de ses élèves. Une grande partie de ses cours sont disponibles – Ces cours enseignés avec passion dépassent le million de vues !
Marian Diamond a également conduit des études sur les différences entre le cortex cérébral de rats male ou femelle et sur l’Amour ! Si vous êtes intéressez, n’hésitez pas à visionner le passionnant reportage de Luna Production : My love affair with the brain : the life and science of Dr. Marian Diamond.
- Bennett, E. L., Diamond, M. C., Krech, D., & Rosenzweig, M. R. (1964). Chemical and Anatomical Plasticity of Brain. 11.
- Diamond, M. C., Krech, D., & Rosenzweig, M. R. (1964). The effects of an enriched environment on the histology of the rat cerebral cortex. Journal of Comparative Neurology, 123(1), 111‑119. https://doi.org/10.1002/cne.901230110
- Diamond, M. C., Scheibel, A. B., Murphy, G. M., & Harvey, T. (1985). On the brain of a scientist : Albert Einstein. Experimental Neurology, 88(1), 198‑204. https://doi.org/10.1016/0014-4886(85)90123-2
https://news.berkeley.edu/2017/07/28/marian-diamond-known-for-studies-of-einsteins-brain-dies-at-90/ - Alper, T., Blodgett, K. B., Gaposchkin, C. P., Hoobler, I. G. M., Hyman, L. H., Kelley, L., & Low, B. W. (s. d.). THE NAMES OF THE W.OMEN. THEIR PLACES OF BIRTH. AND THEIR FIELDS. 6.https://news.berkeley.edu/2017/07/28/marian-diamond-known-for-studies-of-einsteins-brain-dies-at-90/